OUVRIR UNE BRÈCHE DANS L’ÉPAISSEUR DE LA RÉSIGNATION

La très grave crise écologique que nous traversons montre qu’il nous faut rompre de toute urgence avec l’anthropocentrisme ; réapprendre à vivre en harmonie avec la Terre et ses créatures est devenu une urgence absolue. Prendre acte de la finitude du monde et limiter ses besoins : nous savons depuis bien longtemps que la modernité est une imposture, « L’idéologie la plus hypocrite de l’histoire humaine [1] ». C’est à cette arrogance totalitaire que nous devons l’uniformisation et la standardisation du monde, d’un pôle à l’autre.

L’Association Berder Ensemble nous montre que l’histoire de l’humanité a généré des valeurs dont la nature transcendante est reconnaissable au fait que celles-ci contribuent à une authentique humanisation du destin collectif. Par son engagement, Berder Ensemble participe à l’instauration de l’unité, de la solidarité et de la convivialité entre celles et ceux qui refusent l’obscénité du règne sans partage de l’argent et des intérêts privés.

Toutes celles et ceux qui se réjouissent de la récente décision de la Cour d’Appel Administrative de Nantes ont en commun le fait d’adopter une posture délibérée pour protester contre la société d’hyperconsommation ; une forme de résistance déclarée à l’illimité de la Forme-Capital. Toutes et tous partagent ce besoin de contribuer à l’équité, dans un monde où surabondance et misère cohabitent. L’imaginaire religieux breton en a fait une vertu. En réalité, c’est bien plus que cela.

Nous sommes ici en présence d’une véritable « insurrection des consciences », entendue comme transformation de soi pour obtenir un monde meilleur. Quelque chose qui ressemble étrangement à l’Indignez-vous ! de Stéphane Hessel. Se soulever, oui : mais contre qui et contre quoi ? Contre toutes les collusions et les compromissions qui violent les lois, malmènent les consciences en tentant d’imposer sur Terre le règne sans partage du lucre. Pour faire face à tant de violences, il nous faut réapprendre à opérer une distinction entre pauvreté et misère, car cette dernière est destructrice et aliénante.

Les mobilisations de Berder Ensemble sont une ode à la magnificence de la Terre et des hommes, à l’importance de la poésie et de l’imaginaire celtique. À ce titre, n’oublions pas que c’est sous l’inspiration d’une rationalité sans âme que s’est construit le monde actuel. Il est comme désenchanté, préposé à l’ennui et au désespoir : il n’est alors pas étonnant que les hommes et les femmes soient dans une grande pénurie de beauté, de mystères, toutes ces choses qui dépassent le factuel. Si notre corps est gavé, notre âme, elle, est affamée.

Au regard des violences sociales que va de plus en plus créer le dérèglement climatique (destruction des lieux de vie, migrations forcées, pertes de terres nourricières, intensification des catastrophes naturelles…), est-ce bien raisonnable que le Maire de Larmor-Baden encourage ainsi l’édification d’un complexe hôtelier d’un autre temps, une monstruosité de béton et de goudron pour satisfaire les désirs d’une élite soigneusement sélectionnée ? Il devrait pourtant savoir, lui et le Groupe Giboire, que les grands mouvements de combats pour le respect des écosystèmes ont été gagnés par la lutte, voire même par la désobéissance civile. Ils ont sans doute oublié (mais le savent-ils ?) que les militants de l’ANC n’ont jamais demandé au pouvoir blanc de faire son examen de conscience. Nous souhaitons leur rappeler tout simplement que la limitation des heures de travail, le salaire minimum, l’accès à l’assurance maladie ont été gagnés par les mouvements populaires à force de grèves, de manifestations et de négociations collectives.

Nous ne voulons plus laisser prospérer le bétonnage des sols et la pollution de l’eau : nous refusons dorénavant que quelques-uns accaparent ce qui appartient à tous. Nous voulons parler aux personnes qui écoutent le chant du monde, à toutes celles et ceux qui réclament une part de rêve et d’espoir. Nous proclamons que les êtres humains ne sont pas sur terre uniquement pour perdre leur vie à la gagner. C’est à la meilleure part de chacun que nous nous adressons.

Le combat que mène Berder Ensemble est fondé sur la reconnaissance de tous, sans aucune distinction : ni d’âge, ni d’origine sociale, ni de couleur, encore moins de genre. Toute personne animée par le sens de la justice et des responsabilités est la bienvenue car nous ne serons jamais de trop dans le combat que nous menons pour un réenchantement du monde. Nous avons bien conscience que c’est une attitude sans doute plus sentimentale que politique, plus bienveillante qu’offensive. Mais nous avons aussi la conviction que c’est là un formidable antidote au défaitisme et au découragement, ces passions tristes qui nourrissent le désespoir collectif.

Franck JUGUET
Docteur en Sciences politiques
Docteur ès Lettres et Sciences humaines

[1] Pierre Rabhi, Vers la sobriété heureuse, Arles, Actes Sud, 2010.