Le rêve de Philippe

Un rêve dans un rêve.

Il y a peu, j’ai fait un rêve. Pas un de ces rêves éphémères que l’on oublie en quelques instants, non. Un rêve extraordinaire, mais n’est-ce point le propre d’un rêve ? Il est si formidable que je ne peux que le partager.

Un samedi de juillet 2022. Il est 9h, le ciel est d’un bleu intense, sans l’ombre d’un nuage. Une brise de mer, à la fois douce et rafraîchissante rend ce moment magique. Je suis assis quai Jean XXIII au cœur de l’île de Berder, les jambes pendantes, à quelques centimètres de l’eau. La marée est presque haute. L’île au moine, majestueuse, apparaît au loin, à travers les rayons du soleil.  De nombreux voiliers, de toutes tailles, aux voiles multicolores entrent et sortent du golfe, avant la renverse qui rendra impossible le passage entre Berder et l’île de la jument pour quelques heures. Une vedette emplie de touristes stationne à quelques encablures du quai. Les passagers semblent attentifs au son nasillard d’un haut-parleur en fin de vie qui révèle sans grande émotion l’histoire de cette île magnifique. Il mérite quand même mieux, ce paradis terrestre.

Assis près de moi, un homme d’un âge respectable semble aussi apaisé que moi. Des rides de plaisir au coin des yeux illuminent son regard. Il me semble le connaître, mais je serai incapable de mettre un nom sur son visage. À main droite, un groupe d’enfant s’affaire autour des catamarans, gréant avec plus ou moins d’aisance les voiles. À main gauche, assis sur l’esplanade, un groupe d’adolescents discute avec forces gestes. Les filles ont les yeux pleins de larmes, les garçons semblent plus sereins, mais c’est sûrement une apparence. Ils font les fiers, mais n’en mènent pas large.

– On se retrouvera l’année prochaine.

– Oui, mais un an, c’est long.

– On s’écrira.

– C’n’est pas pareil……..

Toutes les chambres du centre de vacances sont occupées. Aujourd’hui, c’est le branle-bas  entre les vacanciers qui partent, ceux qui restent,  ceux qui arrivent. Et chaque semaine les aux revoirs sont déchirants pour ces ados qui ont passé tant de bons moments ensembles. Mais pas que, les adultes ont la même nostalgie. Que c’est dur de quitter ce paradis. Tous ont en tête les moules frites de jeudi, dégustées sur la terrasse, en écoutant des chants de marins : un groupe du golfe du Morbihan, extraordinaire. Tous ont en tête le concours des familles organisé la veille. La famille Le Roux l’a emporté après une dernière épreuve nautique, perdant la course en kayak, mais remportant la régate en catamaran. Bien sûr, tous ont terminé à l’eau à l’issue du concours.  Tous ont en tête la patience et la gentillesse de Sandrine sur le pas de tir à l’arc. Tous ont en tête le spectacle haut en couleur que les enfants ont présenté à la grange la veille.  Petits et grands furent à la hauteur de l’évènement.

Mon compagnon de quai engage le dialogue :

– Vous êtes vacancier ?

– Oui, je suis arrivé samedi dernier et je reste encore une semaine

– Quelle chance vous avez.

– Plus que cela, c’est un pur bonheur. Je ne savais pas qu’un tel centre de vacances pouvait exister.

L’homme semble mal à l’aise. J’ai le sentiment qu’il veut me dire quelque chose, mais qu’il n’ose pas. Je décide de continuer ma promenade.

– Non, restez. S’il vous plaît.

Après un long silence, il se lance :

– Voyez-vous, je suis le propriétaire de l’île.

– Mais c’est merveilleux ?

– Hélas, si vous saviez. J’avais pour ambition d’y créer un hôtel de luxe, avec thalasso, centre de soin, restaurant gastronomique……

– Cela aurait été bien dommage.

– Je sais, mais j’y croyais dur comme fer, une opportunité qui ne se rate pas.

– Et alors ?

– J’ai été contacté par une association locale qui me proposait de prendre la gestion d’un centre de vacances sur l’île.

– Et alors ?

– J’ai refusé, bien évidemment.

– Pourquoi, ce n’était pas viable

– Mais si, au contraire, le loyer annuel que j’aurai touché pour la location des bâtiments était intéressant et en plus, le projet intégrait la rénovation des locaux sur une période de 5 ans.

– Et alors ?

– J’avais depuis quelques années des relations difficiles avec un collectif qui se battait contre mon projet. Je ne pouvais pas céder.

– Et alors ?

– Une nuit, j’ai fait un rêve. Vous ne pouvez pas vous imaginer. J’ai vu l’île envahie par des enfants. Ils avaient l’air heureux, épanoui. L’île était vivante. Jamais je ne l’avais vu ainsi. Le déclic est venu à ce moment-là.

– Mais, c’est merveilleux. Et vous avez accepté  la proposition de l’association ?

– Oui, et tout a été très vite. Le résultat est là, comme vous pouvez le voir.

– Vous devez être content ?

– Content, content, c’est vite dit. Cette association me tue. Je n’ai plus un instant de tranquillité. Les projets fourmillent, les idées sont permanentes pour faire de ce site un lieu de culture, de découverte, de développement durable, un lieu ouvert à tous, sans aucune exception. Et j’en passe, et des meilleures.

– C’est formidable.

– En tant que propriétaire, je suis membre de droit du conseil d’administration et je m’y suis investi entièrement. Je n’ai plus une minute à moi. Tenez, aujourd’hui il y a un conseil d’administration. Nous devons valider la restauration du bâtiment « les fleurs ». Une vraie réussite, il faudra que je vous fasse visiter.

– Avec grand plaisir.

– Nous devons également voter l’étude de la rénovation de l’étage de la grange.

 – Que vous devez être fier.

– Et encore, je ne vous dis pas tout. À l’ordre du jour, il y a l’étude de faisabilité d’un centre de recherche et de ressource environnemental. Mais où vont-ils s’arrêter ?

Le sourire ne trompe pas, l’œil est humide, D’une voix un peu tremblante il ajoute :

Où allons-nous nous arrêter ? Et j’ai failli passer à coter de tout ça.

Philippe – 15/01/2021