Une journée ordinaire à Berder…

Mardi matin, beau temps, belle mer sur port Lannic à Larmor Baden.

La Rieuse n°56, toutes voiles dehors attend l’arrivée de Gildas Flahault.
–     Le voilà ! déclare Catherine.
–     Salut Gildas, embarque ! Nous n’attendions plus que toi. Tu es prêt Raymond ? Interroge Eugène.

Raymond à la barre jette un œil aux penons, « quand tu veux »
–     Alors je déborde ! Allons y dit Eugène en poussant l’étrave à l’aide d’un aviron. « cap sur l’étrave ! »
–     Marc Chapiro ne viens pas ?
–     Il est déjà sur l’île pour préparer une démonstration de sa godille chinoise.

Pour Catherine, présidente de Berder Ensemble et Cinane candidat au poste de chef de base, cette balade à la voile servira de mise en main du guépard, un des guépards sur les cinq prévus à l’école de voile traditionnelle. Par cette petite brise d’ouest et mer plate, la Rieuse fonce tribord amure appuyée par le courant montant de la pointe sud de Berder.

Gildas tout en réglant le génois pousse du pied un paquet d’avirons qui encombre le fond du bateau et déclare « c’est le bordel chez Riguidel ! »
–     Pas tant que ça répond Eugène, la rieuse nous sert au transport des invités à marée haute et aussi pour le matériel , les vivres, tiens regarde : un douze trou de cidre pour ce soir. Champagne breton pour cette journée de découverte.

Raymond s’adressant à Cinane « tu vois Cinane, j’évite de tomber dans le contre courant de la pointe, je plonge dans le fleuve du courant de flot, ensuite j’arrondis et empanne pour rester en bordure du courant. »
–     Tu vas loin comme ça ?
–     Jusqu’à la bouée nord Crézic ensuite je lofe pour créer du vent apparent et vise la chapelle où sont inhumés les époux Dillon, un temps propriétaires de l’ile.

Gildas Flahault grand spécialiste des régates dans le golfe, comme tous les membre de sa famille originaire de port Navalo, apprécie la tactique. « Bien joué ! Le contre courant nous ramènera pile poil sur la plage de l’anse Ste Anne.

Eugène prépare le mouillage et propose au barreur de beacher pour décharger le matos, ensuite nous prendrons le corps mort de la rieuse.
–     Je vois la Florence !
–     C’est Yann qui godille.
–     Quel Yann ?
–     Yann Queffélec ! Il est avec Yvon Fauconnier sur la Florence. Queffélec l’un des présidents d’honneur. Tous les présidents d’honneur seront là ce soir, normalement Gilles Servat chante la blanche hermine à l’auditorium. J’ai aperçu Jean-Yves le Mouillour, il prépare la saison de concerts et lance le programme avec Gilles ce soir. Puis ce sera une soirée musique baroque, Claude Nadeau à l’orgue.
–     Quelle chance !

Irène Frain et Jean Louis Etienne ne doivent pas être loin, Jean le Rouzic les dépose quai Jean XXIII.
–     Avec son vieux gréement ?
–     Oui la Madelynn.
–     Quel marin ! Toute l’année il navigue à la voile quelque soit le temps !

« Hue marchez Celtic ! » entend-on derrière la haie de noisetiers. C’est Brigitte et Loïc qui dégagent les arbres et branches abattues pendant les tempêtes cet hiver. Ils utilisent Celtic le trait breton de la ferme de Berder. Sur cette île, la traction animale prend tout son sens. Déjà les bonnes sœurs utilisaient un cheval pour cultiver les terres. Elles nourrissaient de nombreuses bouches pendant la guerre de 39-45 avec tous les réfugiés et les élèves de l’école d’hydro, il ne fallait pas chaumer. Heureusement que la pêche et l’ostréiculture donnaient à bloc !
–     Ah Brigitte !
–     Salut les gars ! répond elle, un large sourire éclaire son visage.
–     Il est magnifique ton cheval !
–     T’as vu ça la puissance et la gentillesse avec lesquelles il exécute son travail ! Ce cheval comprend tous les ordres à la voix. Allez, hue Celtic ! à plus camarades ! Le cheval alezan aux allures légères s’éloigne un tronc de sapin en remorque.

Quand je pense que les milliardaires n’ont rien entretenu, rien exploité, quel gâchis ! Ils ne pensaient qu’au fric, aux normes. Pendant des dizaines d’années du délires, des idées de grandeur de thalasso pour Rocher, de quatre étoiles pour Giboire et tout tombe en ruine… Plus de gamin en vacances, le marasme, la décrépitude, quelle honte !

Les bonnes sœurs et la Duchesse d’Uzès doivent se retourner dans leur tombe !
–     A propos, Alain Connan a retrouvé sa piaule d’étudiant ?
–   Je crois qu’il visite les bâtiments en compagnie de François Crézé, nous les verrons au dîner. Alain, Florence Taine et François constituent le jury chargé de remettre aux stagiaires leur certificat d’autonomie garantie.
–     Qu’est ce que c’est ce certificat ?
–     En fin de stage, ceux qui auront réussi les trois tours obligatoires seront reconnus capables d’enseigner.
–     Trois tours ?
–     En effet, trois tours. Un à la voile, un à la rame et un à la godille.
–     Dis donc, pas fastoche !
–     D’accord mais chacun choisit son jour et son heure ainsi que le sens de la rotation. Les profs sont là pour les aider, évidement cours de navigation, de godille, voile, aviron, étude des courants

Tout en dissertant sur les écoles de voiles traditionnelles, le groupe, après avoir amarré la Rieuse sur son corps mort, quitte la plage en direction du château à travers la prairie.

« Mais c’est un tipi ! » s’exclame Yvon qui nous a rejoint. Je le reconnais, c’est celui de Christian Jan. Il a déjà servi aux fest-noz de Menhirs libres. Il est fabriqué avec d’anciennes voiles de Alain Colas, Eugène Riguidel et Philippe Poupon par Patrick Olichon.
–     Quand je pense que Patrick a du baptiser son chouchen « Chuféré » parce qu’une marque a déposé le mot chouchen, quel monde !

Christian y a installé notre école de voile dans cette structure provisoire en attendant la remise aux normes. Nous ne sommes pas milliardaires, nous n’avons pas les moyens de faire « île morte ». Il faut faire pousser les patates comme disait Gilles Gahinet , natif de Larmor Baden, nous proposons que l’école porte son nom.
–     Alain Rivat a eu le temps de poser son matériel pour enregistrer Gilles ce soir ?
–     Alain Guillard l’a aidé, tout est en place.

Nous enregistrons tous les évènements, les concerts, les régates et une école d’audio-visuel réalisera ce travail, les adhérents de l’association auront accès aux document pour continuer à vivre Berder pour tous.

Á l’horizon, embouquant la passe de port Navalo, la Madelynn pousse d’étonnantes moustaches. Á son habitude, Jean tout dessus, y compris le flèche, surfe sur la barre de l’entrée du golfe, le Gwen-ha-du à poste. Il prendra un corps mort entre Bandoi le cata d’Alain Guillard et Kalanag d’Olivier Cousin. Pierrick a mouillé Jakares un peu plus loin. Il faut dire que son ancre et sa chaine en inox lui permettent de tenir bon toute l’année dans des abris perso. C’est son pote Louis Cozan qui l’accompagne. Ce soir Louis dédicace la réédition d’un « feu sur la  mer ». Superbe témoignage sur la vie des gardiens de phares, son éditrice est de Ouessant et la nouvelle mouture a gagné.
–     Ha bon !
–     Oui quelques rajouts et de nouvelles photos. On peut dire la même chose pour le bouquin de Jacques de Certaines « Le golfe du Morbihan, 5000 ans d’histoires maritimes.
–     Regarde, ils mettent à la mer une barrique. C’est du vin sain sans aucun intrant ni sulfite ajouté, fidèle à l’étique de la maison d’Olivier Cousin : Aimer , Observer, Cultiver.
–     Yvon et Yann la remorquent à la godille, Allons les aider à rouler la barrique sur le sable.
–     Bon tout est prêt.
–     Que la fête commence !

Comme disait Florence, notre marraine, pas de blabla, des résultats ! Bienvenus à Berder pour tous, vive la Bretagne éternelle !

Eugène Riguidel